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Ma dernière manif, c'était il y a cinquante ans.
Oui, il y quasiment cinquante ans que j'ai arrêté de manifester. Je pourrais dire que ça commençait à nuire gravement à ma santé et à celle de mon entourage – je veux parler des gus avec qui je partageais les coups de matraque.
Mais je n'étais pas particulièrement intoxiqué, et je n'ai pas eu besoin de faire appel à quelque chose qui eût pu s'appeler manif-info-service.
Non, ça n'avait rien à voir avec ça.
C'était donc en mai 1968. J'étais là, remontant je ne sais plus quel boulevard, bras dessus, bras dessous avec mes voisins, quand, entre deux slogans, j'ai entendu une voix qui m'appelait. Une voix qui venait d'en haut. Ce n'était pas celle de sainte Catherine, ni celle de sainte Marguerite, mais celle d'un ancien condisciple de lycée – parasite éhonté, fieffé pique-assiette et tapeur des plus notoires – lequel était, exactement comme sur la photo ci-dessus, perché en haut d'un réverbère ou de je ne sais quel poteau. Il s'adressait à moi. Il n'y avait pas d'erreur possible, vu qu'il ne m'appelait pas par mon nom, mais par le sobriquet de Grand-Blanc-Sec qui avait été le mien au lycée.
J'ai donc levé les yeux et j'ai vu cet ancien camarade – dont j'ai aujourd'hui oublié le nom – agiter la main dans ma direction puis la porter à sa bouche, l'index et le majeur en V, non pas en signe de victoire, mais pour accompagner du geste une demande qui – bien au-dessus de la mêlée, au sens propre comme au sens figuré de l'expression – me résonne encore dans la mémoire comme l'écho de l'esprit de dérision qui commençait de marquer l'époque:
— Eh! Grand-Blanc-Sec! T'as pas un clope?
Régis Hure d'Argus
alias Grand-Blanc-Sec